Portrait croisé du répertoire instrumental et liturgique de Diego Ortiz (Crescendo Magazine, 4 février 2022 – Christophe Steyne)
Son : 8,5 – Livret : 7,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5
Confronter l’art instrumental de Diego Ortiz (le Traité des Gloses de 1553) et le répertoire liturgique de son Musices Liber Primus (1565) permet de « bâtir un kaléidoscope qui dévoile un portrait sonore » de ce Maître de Chapelle du Vice-Roi d’Espagne, selon les mots de Camille Rancière. Les Recercadas furent bien servies au disque : dans une veine post-médiéviste, on se rappelle les excursions de l’Atrium Musicae de Gregorio Paniagua (Harmonia Mundi, juillet 1977), mais on pense surtout aux réussites de Jordi Savall en avril 1989 chez Astrée ou récemment Bruno Cocset chez Alpha. Le versant sacré reste toutefois à investiguer, à l’instar du programme marial (Ad Vesperas) de Cantar Lontano dirigé par Marco Mencoboni (SACD Alpha, 2006). L’ensemble Comet Musicke s’est ici penché sur des fac-similés de Bologne et nous en offre une poignée de motets annoncés comme inédits : un somptueux Alma redemptoris Mater drapé dans les violes, Regina celi letare alleluia, Sancta et immaculata virginitas, Benedicta es celorum Regina. Après un premier album consacré à Gilles Binchois et Johannes Ockeghem, l’équipe de Francisco Mañalich nous arrive donc avec ce stimulant programme mixte qui invite aussi d’autres contemporains de la mouvance hispanique.
Le premier CD de ce double album se place sous l’inspiration de la chanson Doulce mémoire popularisée par Pierre Sandrin (c1490-1560), le second (« Felices Ojos ») sous l’influence du regard et des Felici occhi miei de Jacques Arcadelt (1507-1568). Ce diptyque met ainsi en perspective les airs originaux et leur traitement par variation et glose orné de ces « diminutions » typiques de l’époque. Non avare d’audace (la Recercada Primera pour archet, confiée… au serpent qui s’exprime aussi dans la Sesta), l’instrumentarium se renouvelle d’une pièce à l’autre, par exemple les cordes pincées pour la Pavana con su glosa de Cabezón, suivie par un Ay de mi qu’en tierra ajena qui valorise serpent et cornet, lequel s’entrelace à la flûte dans la Recercada Quinta. La gouaille d’un Cavalier de Spagna ou d’un ¿Por qué rrasón fuistes de Ruysellón? rythmé par le tambour contraste avec les instants recueillis. Les violes et vihuelas de arco tiennent bien sûr une place de choix dans le tissu polyphonique. L’accompagnement se tresse aux pages vocales, conformément à la préface du recueil vénitien de 1565.
On est presque surpris qu’une anthologie aussi composite, où la Terre jouxte le Ciel, et qu’une réalisation parfois bigarrée coulent avec tant d’évidence : la danse succédant au chant pieux, l’invention se mêlant à l’archaïsme. Par l’humilité et la spontanéité de leur démarche, les polyvalents et talentueux musiciens émeuvent sans ostentation ni dogme. Les voix ne sont pas des plus typées mais sincères et vivantes. S’en dégage un contact chaleureux et convivial qu’avive une gironde captation dans l’église euroise de Chambray. Tout à l’honneur de Comet Musicke et du label breton qui l’a enregistré : un apport bienvenu à la discographie du Tolédan !
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