Diego Ortiz ou l’art de la glose et du chant avec l’ensemble Comet Musicke (ResMusica, 29 décembre 2021 – Frédéric Muñoz)
« Essentiellement connu pour son Traité de gloses, on découvre grâce à l’ensemble Comet Musicke un autre recueil d’importance de Diego Ortiz : le Musices Liber Primus, entièrement consacré à l’art vocal. Par une judicieuse alternance des deux livres, le présent album nous fait entrer de plain-pied dans le génie de ce compositeur.
Diego Ortiz est l’une des figures musicales les plus importantes de la Renaissance espagnole. Il demeure célèbre grâce à son fameux Trattado de glosas paru à Rome en 1555. Il s’agit d’une méthode pour apprendre l’art de la glose ou diminution, c’est à dire la manière de remplir les valeurs longues des notes dans une polyphonie, grâce à une technique particulière de notes de passage. Ce traité reste une référence, prolongé dans sa deuxième partie par toute une série de pièces intitulées Recercadas (Recherches) où l’auteur met en application les principes théoriques de la première partie de l’ouvrage. Particulièrement destinées à la viole de gambe, il est clair que ces œuvres peuvent être jouées sur d’autres instruments en particulier tous ceux qui constituent l’accompagnement de la viole soliste. C’est bien cette carte-là que joue l’ensemble Comet Musicke que conduit Francisco Mañalich (lire notre entretien). Onze musiciens réunis pour cet album proposent leurs adaptations calquées sur les pratiques du temps. Ainsi une sélection de douze pièces instrumentales nous sont présentées sur les vingt-sept que compte le traité. Plusieurs d’entre eux font appel à des thèmes déjà existants puisés chez d’autres compositeurs dont Doulce memoire de Pierre Sandrin (1490 ca-1560), O felici occhi miei de Jacques Arcadelt (1507-1568). Ceci permet l’imbrication de la musique vocale dans ce programme où les madrigaux d’origine sont présentés conjointement aux pièces glosées par Ortiz.
L’autre livre de musique écrit par Diego Ortiz et publié à Venise en 1565 est le Musices Liber Primus dont cet album permet de faire plus ample connaissance. On se réjouit même que certains motets de cet ouvrage soient ici enregistrés en première mondiale. On remarque combien le compositeur s’abreuve des divers courants musicaux de son temps, venus des Flandres, de la France et de l’Italie auxquels se mêlent ceux propres à l’Espagne. Il jongle harmonieusement entre l’ornementation, les rythmes et cette manière précise de mêler les voix avec les instruments. Tout recourt à faire rayonner une polyphonie parfois sévère en l’agrémentant de manière raffinée. Ainsi cet album intitulé Caleidoscopio porte bien son nom, assemblant logiquement le sacré au profane, la voix à l’instrument en une savante construction. Les Motets de D. Ortiz demeurent un sommet de l’art vocal de la Renaissance auquel l’Espagne a apporté une incontournable contribution, ses compositions ayant fait de lui le maitre de chapelle du vice-roi de Naples. Sa célébrité fut grande au point de se retrouver sur la grande toile des Noces de Cana, discutant lui même avec le peintre Veronese.
Une prise de son des plus naturelles capte admirablement les œuvres vocales dans l’église Renaissance de Chambray (Eure), dans une interprétation informée et chaleureuse. La beauté des voix révèle au plus haut point la supériorité des textes musicaux, de ces motets dont l’inspiration est à rechercher chez Josquin et Ockeghem, dont Ortiz dit lui-même qu’ils sont de « vrais docteurs de musique ». Afin de parfaire cette rencontre au sommet entre les deux recueils de l’auteur, Comet Musicke propose quelques pièces contemporaines d’Ortiz comme pour immerger son art dans l’air de son temps, où chacun apporte sa pierre : on pense à Cabezon père et fils, Guerrero ou Patavino avec le thème de La Spagna, repris par Ortiz. Il y a à la fois une grande intimité dans cette musique et une projection éblouissante, caractéristique de cet art ibérique fait de contrastes, d’ombres et de lumières. A la suite des productions de Jordi Savall (Alia Vox) et de Marco Mencoboni (Alpha), cette nouvelle approche se classe parmi les belles références dédiées à ce compositeur, dont on n’a sans doute pas fini de découvrir d’autres secrets. »
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