Le 26 février 2023, nous donnions notre programme Orfeo – Il canoro semi deo en l’église réformée du Bouclier à Strasbourg, à l’invitation de l’AMIA Alsace. BaroquiadeS enthousiaste s’en souvient :
ORFEO – COMET MUSICKE, un moment de grâce (BaroquiadeS – Pierre Benveniste)
Comet Musicke est un ensemble à géométrie variable dont le répertoire musical couvre une vaste période allant de la fin du Moyen-âge à la musique française du 17ème siècle, en passant par la Renaissance et le premier baroque italien. C’est cette dernière époque qui est principalement abordée dans le présent concert dédié à Orfeo. La perte de son épouse Euridice et ses tribulations ont inspiré des compositeurs célèbres dont Jacopo Peri (1561-1633), auteur de l’Euridice (1600), considéré comme le premier opéra véritable, Claudio Monteverdi (1567-1643), auteur de la célèbre Favola in musica, Orfeo (1607), Stefano Landi (1587-1639) qui créa en 1619 un Dramma per musica nommé La morte d’Orfeo et, quelques dizaines d’années plus tard, Luigi Rossi (1597-1653), venu à la cour de France pour y représenter une tragédie-comédie nommée Orfeo (1647). A des extraits de ces opéras s’ajoutaient des Lamenti de Sigismondo d’India (1582-1629) et de Francesco Rasi (1574-1621), ainsi que des pièces instrumentales contemporaines de Pietro Lappi, Giovanni Maria Trabaci, Jacques Arcadelt, Diego Ortiz, Cipriano Da Rore, Adriano Bianchieri et Ricardo Rognoni.
En guise de levée de rideau, Yu Nakamura jouait magistralement deux pièces de Tarquinio Merula (1595-1665) et de Girolamo Frescobaldi (1583-1643) sur le bel orgue de l’église construit en 2007 par Dominique Thomas.
Le spectacle qui suivait comportait les parties suivantes : Bonheur d’Orfeo et Euridice suite à leurs épousailles, Mort d’Euridice et désespoir d’Orfeo, Mort d’Orfeo. Le flux musical était ponctué par la déclamation d’œuvres de poètes de l’antiquité gréco-romaine (Appolonios de Rhodes, Ovide, Virgile,…). En quelques mots voici l’histoire du poète thrace telle qu’elle est contée par Ovide dans le livre X des Métamorphoses : « Afin de libérer Euridice des Enfers, Orfeo calme les bêtes féroces qui gardent le séjour des morts, fait pleurer les pierres et charme Hadès et Perséphone. Il reçoit Euridice sous cette condition qu’il ne tournera pas ses regards vers l’arrière… Alors qu’il croit qu’Euridice est libre et que la surface de la Terre est toute proche, il se retourne pour vérifier que son épouse le suit toujours mais cette dernière disparaît de sa vue ». Orphée est rattrapé par son destin, la mort d’Eurydice est cette fois définitive. Insensible aux sollicitations des Ménades, le poète est mis en pièces par ces dernières. Selon Friedrich Schiller (1759-1805) « la soumission aveugle au destin est toujours humiliante et insultante pour l’homme épris de liberté, décidé à ne dépendre que de lui-même » (phrase citée par Helmut Wirth pour une représentation d’Orfeo ed Euridice de Joseph Haydn).
Tour à tour chanteurs et conteurs, les artistes disposent d’un instrumentarium très riche : violes de gambe à six cordes, vièles, lira da braccio, cornet à bouquin. Ils chantent tout en s’accompagnant de leurs instruments. La vièle, ancêtre du violon, était munie d’un manche, d’une touche et de cinq cordes à la fin du Moyen-Âge. La manière d’accorder l’instrument a varié au cours des âges. Selon le Dominicain Jérôme de Moravie (v. 1240-v. 1304), il était judicieux de tendre les cordes de manière à obtenir les notes suivantes, du grave à l’aigu : ré, sol, sol, ré, ré, déterminant des intervalles de quintes et d’octaves, permettant de jouer dans tous les modes possibles. La vièle n’a pas le brillant du violon mais un son doux et chaleureux qui se marie admirablement avec celui des violes de gambe et des voix. La lira da braccio ressemble à la vièle. Sa taille est plus importante, elle possède sept cordes dont deux ne sont pas jouées et servent de bourdon. Le chevalet est plat ce qui permet de jouer en accords. Bien que ces instruments fussent en fort déclin au début du 17ème siècle, leur présence dans cet ensemble était parfaitement justifiée par la merveilleuse euphonie produite par la combinaison de la voix des chanteurs et celle des instruments.
Francisco Mañalich (qui assure également la direction de l’ensemble) est un remarquable chanteur. La voix de ce ténor a une superbe projection et est très homogène dans les différents registres de sa tessiture ; le timbre est chaleureux et a de belles couleurs ; le legato très harmonieux convient idéalement à cette musique si expressive. Il est également un fin violiste comme on peut s’en apercevoir dans les morceaux où il s’accompagne lui-même. Ses qualités ressortaient bien dans le déchirant lamento de Sigismondo D’India, Piangono al pianger mio le fere e i sassi ainsi que dans Possente spirto tiré de l’Orfeo de Monteverdi où les vièles se livrent à des imitations en écho. Ces airs faisaient suite à une première partie débutant par la fameuse Sinfonia ouvrant l’Orfeo de Monteverdi où Cyrille Métivier exécute une belle improvisation au cornet. Suivaient ensuite deux morceaux instrumentaux tirés de madrigaux de Jacopo Arcadelt et Diego Ortiz, O felici occhi miei et de Cipriano Da Rore, O Morte, qui donnaient aux instrumentistes, Cyrille Métivier à la vièle et Camille Rancière à la lira da braccio, l’occasion de montrer l’étendue de leur talent. Aude-Marie Piloz ravissait le public par son jeu agile et élégant à la basse de viole et son art de la diminution. Les quatre artistes unissaient leurs voix dans un extrait de l’Orfeo de Luigi Rossi, Ah piangete, ah lagrimate, tout en s’accompagnant avec leurs instruments d’élection ainsi que dans le chœur des Ménades en furie tiré de l’Orfeo de Stefano Landi.
Pour remercier le public enthousiaste, les artistes facétieux proposaient en guise de bis un extrait d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach.
Tout serait à louer dans ce concert : la polyvalence des artistes, l’intensité de leur engagement, l’originalité de la conception et de la mise en œuvre du programme et un panorama relativement étendu et d’une belle unité de compositeurs ayant opéré dans le premier quart du 17ème siècle. Les quatre musiciens ont permis aux privilégiés présents dans l’église de vivre un moment de grâce. Grâce à de tels talents et à la puissance du mythe, Orphée n’en finit pas de fasciner les mélomanes et les compositeurs depuis la nuit des temps jusqu’à aujourd’hui.
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